Le Pangolin et le Pingouin lent - Chapitre 100 - Catalogue en ligne de votre médiathèque

« La question ! La question !...hurlait la foule qui trépignait d’impatience.

« Voilà, voilà…grommela l’un des deux personnages en perruque en saisissant son porte-voix. Il s’approcha tout près de la joue de Tchang-Lu, posa ses lorgnons sur son nez, s’éclaircit la voix et déclara :

« Monsieur l’intrus, vous avez, par votre intruse et perfide intrusion, intrusament et grandement perturbé les lois fondamentales de la géométrie institutionnelle qui régissent depuis la nuit des temps la bonne et intemporelle marche de notre communautaire communauté, qui…

« La question, la question, continuait de vociférer la foule.

« J’y arrive, j’y arrive…donc, en ma qualité de bourgmestre responsable des intrusions et, par les devoirs qui me sont conférés, je vais vous poser une question qui décidera si votre avenir est encore devant vous où s’il appartient déjà au passé. » Il s’éclaircit la gorge.

« La question est donc celle-ci :

Monsieur l’intrus, les œufs…vous les gobez par le petit bout, ou vous les gobez par le gros bout ? »

Alors que Tchang-Lu restait coi, Gulliver, son compagnon d’infortune, pouffa d’un rire nerveux.

« Mon ami, faites bien attention à ce que vous allez répondre. Ces petites personnes sont fort susceptibles…j’ai moi-même subi le même genre d’interrogatoire et ils n’ont pas apprécié mon humour. J’ai eu le malheur de leur répondre d’aller se faire cuire un oeuf et me voilà enchaîné, je le crains, pour un bout de temps…

Tchang-Lu se tourna alors vers son petit interlocuteur, prit une profonde inspiration et lui répondit avec un ton aussi sentencieux qu’il le put :

« Le sage a dit : «  L’important n’est pas de savoir par où l’œuf se gobe, mais plutôt de savoir par quel orifice il sort de la poule. »

« Ah bon ? fit le bourgmestre interloqué.

« Comme je vous le dis, fit Tchang-Lu avec gravité.

Le bourgmestre se tourna vers son confrère qui, bouche grande ouverte, restait aussi stupéfait que lui. 

« Ca alors !...Nous n’avions jamais pensé à ça !...Mais ça change tout, voyez-vous… » Il prit son porte-voix, se tourna vers la foule et cria : « Quelqu’un sait-il par quel orifice l’œuf sort de la poule ? »

La foule resta muette de stupeur.

« Personne ne sait ?...Mais c’est une catastrophe, commença à se lamenter le bourgmestre, c’est une abomination, c’est la fin du monde !...Il faut absolument qu’on connaisse la vérité vraie !....

« Moi je sais, fit tranquillement Tchang-Lu, mais évidemment je ne vous le dirai que si vous me détachez et mon ami aussi.

« Qu’on les détache ! hurla le bourgmestre, et plus vite que ça !...

« Et si vous me montrez la barque par laquelle est arrivé le sieur Gulliver.

« Qu’on lui montre !

« Et si vous m’indiquez le chemin pour aller chez Maurice.

« Oui, tout ce que vous voulez, pleurnicha le bourgmestre en montrant le sud d’un geste las, pour aller vers Maurice, c’est par là-bas, mais par pitié, donnez-nous la réponse...

« La réponse, la réponse, scandait la foule. »

Tout fut fait en moins de temps qu’il n’en aurait fallu à Tchang-Lu pour préparer des œufs mimosa.

Puis, lui et Gulliver se levèrent, s’époussetèrent, remercièrent le bourgmestre, le sous-bourgmestre, saluèrent la foule et montèrent dans la barque.

Gulliver saisit les rames et commença à ramer dans la direction indiquée.

Enfin, se tournant vers la foule qui les regardait partir avec consternation, Tchang-Lu cria de toutes ses forces :

« Par le cul !...

« Beurk !....firent les lilliputiens.

Et jamais plus ils ne mangèrent d’œufs …