Le Pangolin et le Pingouin lent - Chapitre 96 - Catalogue en ligne de votre médiathèque

Le petit macaque allait passer un sale quart d’heure si personne n’intervenait avant.

« Il n’y a plus qu’une chose à faire…murmura la vieille dame à l’oreille de Moussa Moussa qui s’inquiétait pour son petit singe.

Il se demandait bien comment il allait pouvoir le sauver, les terribles dos argentés approchaient dangereusement du centre de l’arène en bavant de rage et le public déchaîné, le roi Zanzibabar 1er  en tête, les encourageait en hurlant.

« Il nous reste…les épinards…ajouta-t-elle,

« Quels épinards ? demanda Moussa Moussa perplexe,

« Ceux-là ! grogna une voix grincheuse derrière lui.

« Il était temps mon ami, fit la vieille dame en se retournant, où étais-tu encore passé ? On n’attendait plus que toi…

« Je suis c’que j’suis et c’est tout c’que j’suis ! fit le curieux marin, car il s’agissait bien d’un marin, qui, pipe au bec et casquette penchée sur la tête, tenait dans chacune de ses grosses mains deux boîtes de conserve cabossées.

L’air furieux, il dévisagea le pauvre Moussa Moussa que la vieille dame venait de lui présenter, et marmonna :

« Moussa Moussa, c’est pas vraiment un nom d’mat’lot ! J’vas plutôt t’app’ler Moussaillon Moussaillon ! Ca m’semble plus correc’…Et maintenant, Moussaillon Moussaillon, mate un peu c’qui va s’passer !... »

Ce qui se passa fut très bref…

D’une habile pichenette le colérique marin décapsula les deux boîtes de conserve, en engloutit une d’un coup et, d’un monumental lancer, envoya l’autre boîte directement sur la tête du petit macaque qui, ouvrant bien large son gosier, avala le contenu de la boîte, sous l’œil éberlué des dix gorilles qui, eux, restèrent bouche bée.

Mais pas longtemps…

Car le petit macaque n’était déjà plus un petit macaque.

Une incroyable transformation venait de s’opérer : ses muscles s’étaient gonflés en un clin d’œil au point de faire exploser ses chaînes, sa taille était devenue, en trois secondes, trois fois plus haute que celle du plus grand des gorilles, ses minuscules quenottes s’étaient transformées en énormes crocs et lorsqu’il voulut simplement bredouiller : «  Qu’est-ce qui m’arrive ? », un effroyable rugissement fit trembler tous les gradins…

La panique s’empara de la foule qui hurlait de terreur et fuyait en tous sens.

Les dos argentés gémissaient et grattaient la terre pour s’y enfouir.

Mais pas longtemps…

Car le marin avait sauté au milieu de l’arène et envoyait valser les singes terrorisés dans les décors.

« Qu’est-ce qu’on rigole ! grimaça-t-il.

« Grrrrhh ! grogna l’ex-petit-macaque maintenant gigantesque gorille qui se tambourinait le torse en cadence.

« Et Bing !...scandait le marin en continuant à boxer les gorilles, et Bing et Bong, et Ding et Dong…au fait, comment qu’c’est ton p’tit nom à toi mon gars ?

« Grrrrrhhhhhh ! essaya de dire l’autre.

« Ah ouais….Je vois…Bon, j’vas t’appeler King… »   Il martelait en rythme la tête d’un pauvre singe. « Et j’vas aussi t’appeler Kong !... »

« Grrrrrrrrrhhhhhhh ! répondit joyeusement King Kong…

L’arène s’était vidée d’un coup.

Moussa Moussa fit signe au marin et à l’énorme gorille de venir le rejoindre sur les gradins désormais déserts. Ce qu’ils firent d’un bond. Le gorille le prit dans ses bras monstrueux pour lui faire un câlin. Le marin versa une larme et éternua bruyamment.

« Ch’uis trop sensible…les retrouvailles entr’amis, ça m’fait toujours c’t’effet… »

La vieille dame sortit un mouchoir de sa poche et le tendit au marin. Elle se pencha vers lui et lui murmura quelques mots.

« Ah oui…c’est vrai, fit-il en se mouchant…Nom d’une pip’en maïs, j’avais oublié c’foutu Maurice…Allez les marsouins, finies les effusions, faut pas traîner…Brutus est sûr’ment à nos trousses…King-Kong, prends Moussaillon Moussaillon sur ton dos  et on file vers les quais ! Mon vieux rafiot, le « Spinach of the Sea » nous y attend…J’espère qu’t’as pas trop l’mal des mers Moussaillon Moussaillon ? Parc’que pour s’couer, ça va sal’ment s’couer !...»

Ils prirent la route du port.

I’m Popeye the sailor man,

I’m Popeye the sailor man,

The moron I miss  it’s that stupid Maurice,

I’m Popeye the sailor man…