Le Pangolin et le Pingouin lent - Chapitres 11 à 15 - Catalogue en ligne de votre médiathèque

Chapitre 11

Devant l’air ébahi de Tulurgglurkuk et de son chien, le Père Noknok et ses rennes éclatèrent de rire. « How how ! Je vois que tu ne nous connais pas, dit le gros bonhomme rubicond, permets-moi de te présenter mon fidèle attelage ! Voici Tornadjluk, Danseurjluk, Furiejlok, Fringantjlik, Cupidonjlouk, Tonnerrejluik, Eclairajlouik et enfin Comètjloïk… » Les rennes firent une révérence. «  Il est vrai que nous sommes un peu loin de chez nous, nous venons de Laponie et nous avons quelques petites livraisons à faire, une poupée par-ci, un ours en peluche par-là, enfin on ne chôme pas…Et voilà qu’un lapin lapon de nos amis nous a raconté qu’un pingouin lent arctique vous causait des problèmes par ici, alors me voici, toujours prêt à rendre service le Père Noknok ! How how how !... » 

Sur ce il sortit de sa poche une série de grelots qu’il agita sous le nez des deux compères et commença à se trémousser devant ses rennes qui gigotèrent en cadence. Tous ensembles ils entonnèrent un chant ridicule où il était question de sapin roi des forêts, de cheminée et de quelqu’un qui ne devait pas oublier des petits souliers. Le husky se rapprocha lentement de son maître, mit sa patte devant son museau et murmura à voix basse : 

«  Il m’a l’air complètement toctoc ce Père Noknok…En plus ils chantent faux….On ferait mieux de filer à l’anglaise…

«  A l’anglaise je ne sais pas, je ne connais pas ce pays, répondit sur le même ton Tulurgglurkuk, mais je veux bien filer à la groenlandaise. » 

Ils attendirent donc patiemment la fin des danses en faisant semblant d’apprécier les pitreries des rennes qui commençaient à fatiguer puis, aux premiers ronflements du Père Noknok, ils se carapatèrent en silence.

Ils passèrent une petite colline puis s’arrêtèrent pour souffler un peu. La nuit était d’une clarté éblouissante. Un froid intense les enveloppait.

Tulurgglurkuk s’allongea sur le dos et regarda l’immense ciel étoilé. Il trouvait que ce début de quête avait bien mal commencé. Le Husky se blottit contre lui et dit : « Pour un chasseur tu m’épates. Tu ne sais pas regarder ou bien tu as tout oublié. Heureusement que je suis là. Observe la voie lactée. Alors, qu’est-ce que tu vois ? » Tulurgglurkuk fixa un coin du ciel et poussa une exclamation. « Je ne connaissais pas cet amas d’étoiles là-bas au sud…

« Et non, dit le chien, tu ne la connaissais pas et maintenant tu la connais. Et en plus elle t’indique la bonne direction, c’est-y pas merveilleux ?  Si, souffla Tulurgglurkuk. Et tu sais comment elle s’appelle cette constellation ? Non, avoua Tulurgglurkuk. T’es miraud et t’es pas très futé non plus, ricana le chien, mais c’est la constellation du Pingouin Lent bien sûr !..... »

Il prit une taloche, sourit béatement, et s’endormit contre son maître.

Chapitre 12

Tulurgglurkuk et Chien-qui-pète étaient donc repartis d’un pas allègre et le cœur léger vers le sud-sud-ouest en suivant le chemin tracé par la constellation du Pingouin Lent. Si nos deux chasseurs avaient l’air de savoir à quoi s’en tenir sur l’objet de leur chasse, est-ce que tout le monde pouvait en dire autant ?

Que savait-on réellement du Pingouin Lent ? Pas grand-chose en vérité…

Petit rappel scientifique établi en 1537 par le Professeur Herr Plitzenplotz de l’université Royale de PlitzenPlotz ( à Plitzenplotz )

Le Pingouin Lent, aussi nommé le Pingouin Pas Rapide, ou le Pingouin Mollasson, a été étudié pour la première fois par un botaniste du nom de Jojo-la-Racaille, lors d’une expédition en Mer Baltique, brièvement et de loin, de très loin, et encore on n’en est pas sûr.

Le Pingouin Lent ne doit pas être confondu avec le Pingouin Rapide, aussi nommé le Pingouin Véloce, ou encore le Pingouin Express, ou encore le Pingouin qui fait tût-tût. A vrai dire c’est très difficile de les confondre car le Pingouin Rapide possède huit pattes alors que le Pingouin Lent en possède beaucoup moins. Le Pingouin qui fait tût-tût possède huit roues et le Pingouin Lent aucune.

Le Pingouin Lent se nourrit exclusivement de lichen. Il pète beaucoup ce qui le protège des prédateurs. Pas tous. Certains prédateurs adorent le gibier qui pète. Le Pingouin Lent émet un petit cri très caractéristique lors de la saison des amours, hélas la plupart des femelles étant sourdes ils ont beaucoup de mal à se reproduire ce qui en fait un animal rarissime.

Le Pingouin Lent est grossier. Il profère des injures quand il a trop bu. A moins qu’il ne s’agisse de Jojo-la-Racaille.

Certains indigènes de l’Arctique sont très friands des yeux de Pingouins Lents farcis. D’autres indigènes pas du tout. Ce qui crée des tensions au sein des différents clans du Grand Nord.

Certains chefs de Clans ont fait du Pingouin Lent leur animal totem.

Des représentations de Pingouin Lent gravées sur os sont de véritables chefs d’œuvre. On n’en a, à vrai dire, jamais vu mais c’est ce que Jojo-la-racaille a raconté lors d’une conférence un soir à la buvette de l’Université donc ça doit être vrai.

C’est tout ce qu’on sait à propos du Pingouin Lent.

Inutile de dire que Tulurggurkuk et son chien ne possédaient pas toutes ces connaissances scientifiques. Peut-être était-ce heureux…

Chapitre 13

Billiwong Billidong n’en revenait pas…

Quel Ancêtre avait-il irrité à ce point pour provoquer ce désastre ?

Lui, le meilleur peintre sur sable de la Terre d’Arnhem, n’avait jamais commis aucune erreur. Il avait respecté toutes les règles. Comme toujours…

Les pigments avaient été minutieusement choisis. Les ocres, les blancs, les gris, les noirs. Tous déposés du bout des doigts dans l’ordre rituel comme lui avaient appris son oncle et l’oncle de son oncle. Le sable rouge, c’était toujours le même, il était allé le chercher dans cette grotte du désert de Pitawhahari et l’avait ramené sans en perdre un grain en le portant sur la tête. Il avait dansé et psalmodié les chants sacrés sous l’arbre blanc desséché comme il l’avait toujours fait depuis 40 ans. Il s’était enduit les cheveux avec l’argile prise dans la mare aux crocodiles et s’était peint le corps en respectant les circonvolutions rouges et les spirales blanches. Il avait enfin soufflé dans son didgeridoo avec cette force et cette intensité qui étaient reconnaissables au premier son et qui faisaient dire à chacun lorsqu’il l’entendait : «  Ca y est, Billiwong Billidong discute avec les Ancêtres… »

Alors quoi ?

Peut-être était-ce le dingo après tout ? Cette sale bête rodait vraiment trop près du village depuis quelques jours. Peut-être était-ce lui qui avait tout salopé ? Mais non, aucune trace de pattes autour de la peinture de sable que Billiwong Billidong avait mis tant de temps à réaliser. Rien. Il n’y avait aucune explication.

Accroupi, il se balançait et contemplait le sol en silence.

Un grand vide s’étalait au milieu de ce qui devait être la pièce maîtresse de la cérémonie du lendemain, prévue pour le début des festivités du « Temps des Rêves ». Tous les clans devaient s’y retrouver.

La peinture de sable se rapportait à une vision relatant un événement primordial. Elle décrivait la naissance de l’animal totem de la tribu.

Elle se nommait : «  Le Rêve du Kangourou doux ».

Mais cela n’avait plus aucun sens, puisqu’au centre de la peinture, le kangourou avait disparu…

Chapitre 14

Billiwong Billidong retourna dans sa case.

Il s’assit devant le feu de brindilles sur lequel mijotait depuis le matin un ragoût d’opossum mais il n’y toucha pas.  Dans une jarre de terre il saisit une poignée de feuilles d’eucalyptus et commença à les mâcher lentement. Il mit aussi dans sa bouche quelques graines que le sorcier lui avait données avant de commencer à peindre. « Elles t’aideront à y voir clair quand l’obscurité voilera tes yeux », lui avait-il dit. Eh bien l’obscurité était là mais il avait beau mâchouiller et saliver aucune lueur ne venait éclaircir les ténèbres. Un petit wombat apprivoisé passa entre ses jambes en dodelinant du croupion, il le chassa d’un coup de pied rageur qui le surprit lui-même. Si lui, l’homme sage entre tous les sages, perdait ses moyens c’est que le monde ne tournait plus rond.

De mémoire d’homme du bush on n’avait jamais vu une telle diablerie. Un kangourou qui s’échappe d’une peinture de sable, il n’en avait jamais entendu parler. Il avait beau se creuser la cervelle, même dans les vieilles légendes transmises depuis la nuit des temps on ne parlait pas de kangourou peint et fugueur. Encore moins de kangourou doux fugueur. Parce que, c’était vrai que le kangourou sautait, et comment qu’il sautait ! C’était vrai que le kangourou boxait et c’était plus que vrai que le kangourou n’était pas un animal facile, mais il ne sautait pas d’une peinture !

Et puis rien à voir avec le kangourou doux, animal totem de la tribu et qui était une espèce rare parce que très docile, très calme et qui jamais au grand jamais ne se sauverait d’une peinture de sable ! Et pourtant si, il l’avait fait !

Billiwong Billidong se leva d’un bond.  Il venait d’avoir la vision d’une grande vague… Il prit aussitôt sa décision. Il devait partir.

Il saisit une bonne poignée de larves de cancrelats séchés qu’il enfourna dans un sac de peau. Il décrocha ses boomerangs, les soupesa, il emporterait les plus légers.  Il enroula délicatement son didgeridoo dans un étui d’écorce et se l’attacha dans le dos. Dans une autre sacoche, il déposa ses précieux pigments, du sable rouge, de la craie. Il jeta un dernier regard à sa case, ferma les yeux et sortit. Puis il s’élança, d’abord en petites foulées, bientôt suivies par de grandes enjambées, comme si mille crocodiles s’étaient mis à ses trousses.

Il allait retrouver ce satané kangourou doux.

Billiwong Billidong se dirigea vers la mer…

Chapitre 15

Billiwong Billidong n’était pas seulement un grand artiste. C’était aussi un grand chasseur. Et un grand coureur. C’était tant mieux car dans cette partie du désert il valait mieux être les deux.

Le premier jour il avait ainsi échappé à une meute de dingos affamés qui auraient bien aimé faire de lui leur souper. S’ils avaient su qu’ils avaient en face d’eux le meilleur lanceur de boomerang de sa génération ils auraient sûrement réfléchi à deux fois. Ils restèrent tous sur le carreau pendant que Billiwong Billidong s’éloignait au pas de course en récupérant à la volée son splendide instrument.

Le deuxième jour, traversant un marigot, et toujours en bondissant, il évita de justesse de se faire croquer la jambe par un sympathique crocodile de sept mètres qu’il avait pris pour un rocher. Il lui asséna entre les deux yeux un bon coup de son didjeridoo.

La musique adoucit les mœurs des sauriens…

Un autre soir il ne dut son salut, face à un serpent noir des sables, qu’en lui soufflant dans les yeux une bonne dose d’ocre rouge qui aveugla le reptile juste avant qu’il ne le morde. Il croisa aussi sur sa route un certain nombre de kangourous. Certains étaient roux. Aucun n’était doux. Ils se montrèrent fidèles à leur réputation et donc assez vindicatifs. Le didjeridoo et les boomerangs de Billiwong Billidong adoucirent aussi leurs mœurs…

Finalement il prit la décision de ne plus jamais s’arrêter jusqu’à la grande étendue d’eau. Il mangerait et dormirait en courant.

Une nuit, alors qu’il trottinait en somnolant, il fit un rêve étrange. Il pêchait accroupi à travers un trou dans le sable. Le sable était tout blanc, très lisse et très froid, un vent glacial soufflait en rafales. Lui qui n’avait jamais porté un vêtement de sa vie était vêtu d’une lourde tunique avec une capuche, des bottes et des gants fourrés. Son haleine sentait le poisson…Il tira soudain sur la ligne, un petit koala, accroché au bout du fil, sortit de l’eau et vint se poser sur ses genoux. Le koala s’ébroua et le regarda droit dans les yeux. «  Eh bien, lui dit-il, c’est pas trop tôt, je commençais à me les geler là-dessous. Pour un aborigène t’es pas trop pressé d’avoir une conversation avec ton esprit-animal dis-donc ! Enfin, ça y est, il était temps. Tu sais qu’t’as gagné le gros lot avec moi, je suis plutôt futé pour un koala des rêves. J’apparaîtrai chaque fois que tu seras en péril. C’est chouette non ? Et là, tu vas bientôt avoir besoin de moi. Parce que derrière cette colline, là, bah c’est l’océan mon vieux, comme je te l’dis, c’est la grande bleue… » Le koala disparut. Billiwong Billidong arriva en haut de la colline puis bascula de l’autre côté, il roula dans le sable et dormit profondément.

Le bruit du ressac le réveilla. Il ouvrit les yeux.

Une tortue géante lui léchait le visage…