20°10’ Sud ; 57°30’ Est…

A bord de la Perla Negra, tous les regards étaient fixés sur cet hypothétique point à l’horizon…

L’île de Mau…

Les voyageurs venaient d’essuyer une mémorable tempête mais fort heureusement le soleil brillait maintenant au zénith ; la prochaine terre qu’ils verraient, pensaient-ils tous, serait la bonne.

Le bout du voyage n’était maintenant plus très loin.

Les voiles frémissaient sous le vent. Les perroquets et le colibri frémissaient à l’idée de rencontrer enfin le Quetzalcoatl. Les Hidalgos frémissaient à l’idée des coffres remplis d’or.

Mais ils n’en avaient pas encore fini avec les rencontres imprévues…

« Terre ! s’écria soudain Sang-Chaud, du haut du hunier.

Tout à l’euphorie d’accoster enfin, personne ne crut bon de regarder, ni le

compas, ni la carte ; ils débarquèrent donc sur cette terre, certains d’être

arrivés sur l’île de Mau…

Don Quijote fut le premier à poser le pied sur la plage.  Il planta sa lance sur le sol, huma l’air en connaisseur et dit :

« Ca sent l’or ! Foi d’Hidalgo !

Don Diego de la Vega sauta à sa suite et zébra le sable d’un grand Z.

« Za sent la gloire ! Au nom de za très grazieuse Mazesté, Zeanne la folle, Reine d’Aragon et Caztille, ze prends pozession de cette île ! Foi de Zozo !

Sang-Chaud traînait des pieds et, comme à son accoutumée, maugréait.

« Moi, ce que je sens, ce sont les ennuis…beaucoup d’ennuis… »

Acocoyotl débarqua lui aussi, mais, prudent, ne dit rien du tout.

Les oiseaux, encore plus prudents, étaient restés à bord  pour surveiller le navire, en cas d’attaque de goélands…

Bien leur en prit car nul n’avait remarqué un personnage à l’accoutrement pour le moins « primitif » qui observait depuis un moment, l’air goguenard, la bruyante arrivée de la petite bande de conquistadors.

Grand de taille, le cheveu roux et la barbe longue, vêtu simplement d’une veste rapiécée en poils de chèvre, coiffé d’un curieux bonnet conique également en poils, il brandissait au-dessus de sa tête un parasol fait de feuilles de palmiers pour se protéger du soleil.

Il s’avança avec nonchalance vers les quatre arrivants qui, l’apercevant soudain, firent tous un bond en en arrière, provoquant ainsi, par un effet de dominos, leur chute dans le sable…

L’individu partit d’un grand éclat de rire et déclara :

« Ici, personne ne prend possession de quoi que ce soit, sachez-le ! Ici, rien n’appartient à personne, car ici, regardez autour de vous…il n’y a rien à posséder…

« Rien ? firent les autres en se relevant difficilement.

« Rien ! répondit l’autre, mais ceci dit, je suis bien aise d’avoir de la visite...

« Alors pas d’or ? insista Don Quijote.

« Pas d’or, confirma l’étranger.

« Et pas de trézor ? continua Don Diego.

« Pas de trésor, certifia l’autre.

« Pas de Quetzalcoatl non plus je suppose… tenta Acocoyotl.

« …Le Quetzalcoatl !...Vous voulez parler du grand serpent à plumes ?!...Ah mais si, dit l’homme, lui, il est bien passé par ici !...Il m’a d’ailleurs laissé quelques plumes pour mettre sur mon parasol…très sympathique bestiole vraiment…rien à redire…mais il n’a fait qu’une courte halte, pour reposer ses ailes disait-il, puis il est reparti…oh pas très loin, il n’a fait qu’un saut de puce jusqu’à cette autre île, là-bas, où apparemment il était fort attendu… »

Il fit un geste vague de la main.

« Oui, vous savez bien, là-bas quoi, à gauche de l’île Marcel…comment s’appelle cette île déjà ? Ah oui, ça me revient…L’île Maurice !... »

Devant l’air éberlué des voyageurs qui ouvraient de grands yeux, s’étaient déjà mis debout et s’apprêtaient à repartir, l’homme replia son parasol, le planta dans le sable et étudia l’ombre qu’il projetait sur le sol.

« Moui moui…murmura-t-il, c’est bien ce que je pensais…

« Vous pensiez quoi ? demanda Acocoyotl qui trouvait décidément bien étranges les propos de cet individu. Mais au fait, qui êtes-vous ?

L’étranger sourit mélancoliquement ;

« Il fut un temps où l’on m’appelait Robinson…Mais c’était dans une autre vie…Donc je disais que, d’après mes calculs, bizarrement nous nous trouvons en plein milieu d’une semaine où rien ne devait se passer…une semaine des quatre jeudis en somme ! Et ça tombe bien puisque vous êtes quatre ! Je vais donc vous appeler Jeudi ! Jeudi numéro un, Jeudi numéro deux, Jeudi numéro trois et Jeudi numéro quatre !...Ca vous dit ?

« Si ça vous dit, ça me dit aussi, dit Sang-Chaud en signe d’apaisement.

« Moi ça ne me dit rien du tout, s’exclama Don Quijote en remontant dans la barque.

« Moi encore moins, fit Acocoyotl, sans façon, mais merci pour l’information.

« Et moi ! Et moi...s’écria l’irascible Don Diego, ze bouillonne de raze ! Ze dis et ze redis que personne ne m’appellera zamais Zeudi ! Zinon ze le bouzille, ze l’exzécute, ze l’eztrapade, ze l’égorze, ze l’égozille…

Zozo à la rigueur, mais pas Zeudi… »

Face à une telle fureur, Robinson crut Zozo ….