Vous êtes de l’étoffe dont sont faits les rêves…

La phrase énigmatique du poète trottait dans la tête de Giuletta qui bailla en s’étirant.

Elle émergeait lentement et, en tâtant sous elle, sentit comme un tapis de cuir et d’écailles. Les embruns tout autour d’elle finirent par la réveiller complètement.

« Bien dormi ? lui demanda le Monstre du Loch Ness en souriant.

« Ma foi oui, dit-elle, en se souvenant soudain de tout. J’ai l’impression d’avoir sommeillé pendant au moins…

« Mille et une nuits ! ricana le lapin blanc, c’est ce qu’elles disent toutes dans les contes…c’est d’un banal…

« Où sommes-nous ? dit Giuletta, en se penchant sur le cou du Monstre.

« En chemin, répondit-il, pendant votre sommeil nous avons traversé quelques lochs, passé plusieurs tunnels sous-marins allant de l’un à l’autre et maintenant nous sommes au beau milieu de l’Océan. La route est encore longue mais j’ai une bonne autonomie. Accrochez-vous bien les amis… »

Le lapin regarda sa montre.

« Ohlala nous allons encore être en retard ! On ne devrait pas se fier aux transports en commun de Grande Bretagne, ils ne sont jamais à l’heure…

« Permettez, permettez, fit le Monstre, je n’ai absolument rien de « commun » et je ne transporte pas n’importe qui sur mon dos ! Mais si vous voulez descendre et trouver un autre moyen de locomotion, libre à vous ! D’ailleurs, voilà une petite île là-bas dont je ne me souviens plus du nom mais où je sais une auberge spécialisée dans les terrines de lièvre…Ca vous tente ?

« Nooooooooooon, fit le lapin.

« Siiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii, firent les autres.

Le Monstre accéléra en riant et accosta en douceur le long d’un ponton au bout duquel on distinguait de lugubres lueurs. La troupe descendit du dos du Monstre et, comme finalement tout le monde avait grand faim, on se dirigea allègrement vers les lumières qui étaient celles d’une misérable taverne dont les fenêtres brisées éclairaient faiblement une enseigne branlante.

« A l’Amiral…à l’Amiral…je n’arrive pas à lire la suite, dit le lapin en ajustant ses lorgnons et en frissonnant, j’espère en tous cas que cet Amiral a un cuisinier qui sert autre chose que de la terrine…

« Pour sûr qu’je sers autr’chose à becqu’ter dans mon palace ! grogna un patibulaire personnage unijambiste qui, poussant la porte de l’auberge d’un coup de béquille, se planta fièrement devant la petite bande. 

Il souriait méchamment puis sortit un grand coutelas de sa ceinture et commença à l’aiguiser le long de sa jambe de bois.

« Ce soir, dit-il en lançant un clin d’œil narquois au Monstre, en plus du ragoût d’lapereau, on va avoir du cou farci à r’vendre, parole de cuistot !

« Ce cou n’est pas à vendre, glapit soudain le petit blondinet, c’est celui de mon ami et sur ma planète on ne mange pas le cou de ses amis !....

« How How ! gloussa l’homme à la jambe de bois en attrapant sauvagement le garçonnet par son écharpe. Par le fantôme du Capt’ain Flint, ne s’rais-tu pas l’ frère jumeau de c’te vaurien de Jim Hawkins ? »

Puis il se mit à hurler : «  Ola d’la taverne, Billy Bones, Chien-Noir, Pew, Ben Gunn, rappliquez mes forbans, on a d’la visite… »

Sur ces mots, quatre individus tous plus louches les uns que les autres sortirent de la misérable bicoque et, armés jusqu’aux dents, qui leur manquaient pour la plupart, entourèrent nos amis en brandissant de redoutables sabres d’abordage et en vociférant de terribles insultes.

Le blondinet se cacha derrière le lapin. Le lapin se cacha derrière le rat.

Le rat se cacha derrière le chat souriant qui ne souriait plus.

Giuletta ne se cacha derrière personne et l’affaire aurait sûrement mal tourné si le Monstre ne s’était pas mis à faire le Monstre, c’est-à-dire à rouler des gros yeux et à cracher du feu par ses naseaux.

Ce qui calma tout le monde…

Pourparlers ?...