Chapitre 76

Conférence internationale en alexandrins sur l’importance et l’usage des vents à l’intérieur et à l’extérieur du ventre d’une baleine.

Intervenant : Lulu tortue luth.

Participant à titre consultatif : Billiwong Billidong

Orateurs : Johnny ; le Cap’tain ; le petit garçon en bois

Médiateur : le Koala

 

Lulu ( sentencieuse ) :

Je demande le silence en tant qu’intervenant,

Car il nous faut débattre de tous ces ouragans !

L’heure est grave messieurs, et de cette grosse bedaine

Nous devons nous extraire et adieu la baleine…

Il n’y a qu’une solution, et elle est capitale,

Servons-nous de la brise ou alors du Mistral !...

Johnny ( bougon ) :

Le Mistral connais pas ! Est-ce un vent d’aujourd’hui ?

Est-il aussi furieux  que le fou Makani

Qui plongeait, de mon temps, direct sur Hawaï,

Hurlait à pleins poumons et en faisait des tonnes,

Et valait, à mon sens, tous les plus gros cyclones ?

Le Koala ( conciliateur ) :

Un vent en vaut un autre, là n’est pas la question,

Quelle importance qu’il soit zéphyr ou aquilon ?

Il convient de savoir, en ce moment extrême,

Si on adopte la bouse ou on choisit la crème !

Billiwong Billidong ( levant la main )

Personnellement, j’opte pour les vents doux,

Mon choix se portera sur mon didgeridoo !

Je pourrais en souffler pour nous sortir du trou

Et nous mettre sur la route de mon cher kangourou…

Le Cap’tain ( furibond )

Voilà bien les ingrats, les filous, les bandits !

A peine rentrés au port, ils demandent la sortie…

A moi les moussaillons, à moi mon équipage,

Ils veulent déserter et partir à la nage !...

Lulu (excédée)

Calmez-vous triple fou, triple sourd, triple buse.

Je ne parle que de vents, n’y voyez aucune ruse!

Il s’agit de trouver le moment convenable

Pour s’extirper, enfin, de ce ventre exécrable !

Le Koala ( explicatif )

La tortue a raison, elle n’est jamais fantasque,

Il faudrait surveiller la venue d’une bourrasque.

Et faire à l’intérieur autant de gros boucan

Comme si dans ce bidon soufflait un ouragan.

La baleine effrayée ouvrant alors son bec

Nous cracherait illico comme des noyaux de pastèques !

Le petit garçon de bois ( béat )

J’vais aussi vous aider, parole de marionnette,

Car j’en ai plus qu’assez de manger des crevettes !

Faut pas être trop stupide pour mimer la tempête,

Cette fois j’ai tout compris, j’vais jouer de la trompette…

Et son nez s’allongea, encore, jusqu’au plafond

Au moment où, dehors, déboula un typhon…

Chapitre 77

Mélo Dick avait déjà essuyé de gros grains mais, de mémoire de cachalot, celui-ci était vraiment particulier.

Lorsqu’elle émergea des profondeurs elle crut qu’elle allait être emportée dans les airs. Le bruit du vent était si assourdissant qu’elle ne s’entendait plus sonder, quant au tonnerre il résonnait avec tant de violence qu’il lui semblait venir de l’intérieur même de son corps.

Et pour cause, dans l’estomac de la baleine, la tempête grondait aussi…

La « fanfare des avalés»  jouait comme si sa dernière heure était venue :

le Koala, en chef d’orchestre accompli, battait éperdument la mesure ;

le didgeridoo de Billiwong Billidong gémissait à fendre l’âme ; le Cap’tain tenait le rythme avec sa béquille en frappant sur la carapace de Lulu ; Lulu la tortue couinait comme le luth qu’elle n’avait jamais été ; le pauvre Johnny crachait ses vieux poumons en cadence et la marionnette, qui avait fait des trous dans son nez, soufflait dedans comme s’il s’agissait d’un saxophone !

Le groupe improvisé jouait frénétiquement en se tenant en équilibre sur une espèce de radeau fabriqué de bric et de broc avec des planches de bois récupérées dans les boyaux de la baleine. Un mât surplombait le tout et une voile de fortune se balançait au-dessus de la petite bande de musiciens.

Leur cacophonie était infernale, un mélomane n’y aurait pas retrouvé ses petits mais là n’était pas le but. Le tohu-bohu rebondit sur les parois de l’estomac du cachalot, vibra dans son œsophage et remonta lentement mais sûrement dans sa gorge.

« Allegro, presto, plus fort plus fort !!! Cria le Koala

« Mais qu’est-ce qui se passe ? grommela Mélo Dick. Ses ouïes commençaient furieusement à la chatouiller.

« PRESTISSIMO !!!! Hurla le Koala, hystérique…

« Mais…ahh…AHH…ATCHHH….fit Mélo Dick…

Lorsque la baleine éternua, l’onde de choc fut si énorme que l’ouragan lui-même en fut surpris.

« A vos souhaits ! dit-il en langage d’ouragan. Puis il se calma d’un coup et s’en alla rouler des mécaniques à l’autre bout de l’Océan.

Mélo Dick aussi fut surprise.

Pas seulement par son éternuement monstrueux, ni par le calme plat et la mer d’huile qui maintenant régnait autour d’elle, mais par le vide qu’elle sentit dans son ventre…

« Ils sont partis !  Ah les petits salopiots ...gémit-elle.

Un banc de dix mille petites sardines venait de se reformer sous elle pour venir aux nouvelles.

« De qui parles-tu ainsi ? lui demandèrent-elles.

Une toute petite voile blanche disparaissait au loin.

Mélo Dick poussa un soupir à fendre toutes les lames de fond.

« Un musicien si sympathique, lâcha-telle dans un sanglot. …Si talentueux…Et moi qui avais mis tellement d’espoir en lui…Il ne m’a même pas dit merci ! Parti, comme ça, sans un mot, sans un au revoir ! Rien…Quel égoïsme ! Quelle ingratitude… »

Une larme coula sur ses fanons.

Et le silence se fit sur cette scène peu amène

 dont furent témoins, hélas, vingt mille yeux sous l’amère…

Chapitre 78

Le rafiot de fortune avançait péniblement sous les alizés.

Billiwong Billidong scrutait l’horizon et essayait de maintenir le cap en direction des Îles sous le vent mais il fallait bien avouer que la voile trouée n’était pas d’une grande utilité. Tout comme le vieux Johnny, la marionnette et le Capt’ain qui, plutôt qu’aider à la manœuvre, regrettaient déjà le ventre de la baleine et n’arrêtaient pas de se plaindre du manque de confort du radeau.

« J’aurais dû emmener ma couette, pleurnichait Johnny,

« J’aurais dû emmener ma bouteille de rhum, maugréait le Cap’tain,

« J’aurais dû emmener un nez de rechange, se lamentait la marionnette.

« Chers amis, soupira le Koala, assis nonchalamment sur l’épaule de Billiwong Billidong, ce n’est pas que votre présence nous importune, bien au contraire, et croyez bien qu’en d’autres circonstances votre compagnie aurait été plus que bienvenue, mais vous conviendrez que, vue la taille de cette coquille de noix, je me demande si finalement nous ne sommes pas quelques-uns de trop… »

 « Tout à fait d’accord avec vous mon cher Koala » fit Lulu la tortue, tout en pagayant avec ses deux pattes avant à la proue de la petite embarcation.

« Je rappelle tout de même que nous avons un kangourou dans la nature et que la nature a horreur du vide, contrairement à nous, qui aimerions bien que l’on en fasse un peu, du vide…

« Ca veut dire quoi ? s’exclamèrent en chœur le vieux Johnny, la marionnette et le Cap’tain.

« Récifs en vue, cria Billiwong Billidong.

« Ca veut dire qu’il est temps pour vous de débarquer ! Fit Lulu la tortue.

« C’est une honte! Vociféra le Cap’tain.

Billiwong Billidong venait de le pousser sans ménagement avec les deux autres sur la plage de ce petit îlot rocailleux.

« C’est un scandale ! C’est une rébellion ! C’est une mutinerie ! Gibiers de potence, vous n’auriez pas osé si j’avais eu encore mes deux jambes ! Ah c’est commode !...

« Non, fit Lulu la tortue, ce n’est pas commode, c’est Komodo ! L’Île de Komodo ! C’est un endroit très chaleureux vous verrez. Le climat y est idéal pour se refaire une santé. La nourriture est de bonne qualité et l’occupant des lieux est une vieille connaissance extrêmement sympathique. Tiens d’ailleurs le voilà. Bonjour Gaston, comment tu vas mon grand ?

« Ca peut aller, ça peut aller, dit Gaston le varan. Alors, qu’est-ce que tu m’amènes cette fois ma Lulu, Mhhhh…ça m’a l’air bien appétissant tout ça… »

Il avançait en se dandinant lourdement et fouettait l’air de son immense queue recouverte d’écailles acérées.

 « Je vous présente Gaston les amis ! Il a l’air un peu balourd comme ça mais ne vous y trompez pas, il peut être très rapide…Et il est très taquin, très très taquin, vous allez bien vous amuser avec lui…Son surnom, c’est : « le Dragon de Komodo », mais c’est juste pour faire peur aux enfants, hein Gaston que tu n’es pas méchant ?...

« Non, fit Gaston, en se passant une langue fourchue sur les babines, pas méchant, pas méchant du tout…Surtout avec mon futur déjeuner… »

Et Billiwong Billidong, le Koala et Lulu la tortue prirent le large, sous les regards atterrés des trois médusés du radeau…

Chapitre 79

Où l’aztèque Acocoyotl Polichtiltli s’émerveilla de tous les faits et gestes hautement chevaleresques du très ingénieux Hidalgo Don Quijote de la Mancha, contés musicalement avec force trémolos par son fidèle Sang-Chaud, une nuit de lune pleine, sous les froufroutantes frondaisons d’une jungle oppressante :

 

« Oyez oyez senor Coco…Vous permettez que je vous appelle Coco ? »

Un sourire édenté et radieux illuminait le visage de Sang-Chaud. Il n’était jamais aussi heureux que lorsqu’il pouvait chanter les louanges de son bon maître en pinçant avec fougue les trois cordes de son charango.

Où l’aztèque Acocoyotl Polichtiltli ne s’émerveilla pas complètement des marques de familiarité maladroites mais bien compréhensives du fidèle Sang-Chaud et refusa poliment mais fermement d’être appelé Coco, sous les froufroutantes frondaisons d’une jungle toujours aussi oppressante :

« Non ! Tu ne peux pas…Fit Acocoyotl Polichtitli.

« Ah bon tant pis…répondit Sang-Chaud, toujours souriant. Alors je vous appellerai Popo...Senor Popo, c’est bien aussi ! Donc, Senor Popo… »

Après une œillade appuyée à Acocoyotl il fit frénétiquement sonner son instrument.

« …Donc, voilà mon maître qui, n’écoutant que son devoir, était parvenu, à la seule force de ses petits poignets et de mes grosses épaules, en haut de la sombre tour du sombre donjon du Castel Gaspacho.

Dans un songe, la nuit précédente, il avait entendu l’appel de la malheureuse princesse Dona Tortilla y Pastachuta. Cette pauvre enfant, qui n’avait déjà pas été aidée par dame nature étant atteinte de nanisme, était abjectement retenue prisonnière par ses trois ignobles  frères, les géants Don Gargouilli, Don Gargouillo et Don Gargouilla…

Hélas, en haut de la sombre tour du sombre… »

Où l’aztèque Acocoyotl Popo s’émerveilla de moins en moins et commença même à s’impatienter sous les froufrous qui frondaient et la jungle qui s’oppressait :

«  Hélas, trois fois hélas, continua Sang-Chaud en tirant

de vibrants et pathétiques grincements sur son charango.

« Hélas, dans le donjon, point de princesse ! Seulement les trois géants, qui attendaient mon maître, les traîtres ! Et avant qu’il n’ait pu esquisser le moindre geste voilà les bougres qui l’attrapent chacun par un pied !...

« Il avait donc trois pieds à ce moment-là ? Quel homme, demanda narquoisement Acocoyotl.

« Oui, s’écria Sang-Chaud qui ne se démonta pas pour si peu. C’était bien là toute la ruse de mon maître qui avait plus d’un tour et d’un pied dans son sac. Il avait effectivement trois pieds ! Les géants en furent si ébahis qu’ils lâchèrent mon maître qui, avec son pied supplémentaire, frappa les géants dans leurs quatre genoux !

« Ils avaient chacun quatre genoux ?

« Oui ! Quatre genoux chacun, à eux trois ça faisait quatre fois trois égal douze genoux à frapper ! Et bien vous le croirez ou non, Don Quijote de la Mancha les brisa tous les douze ! Bel exploit non ?...

« Et la princesse ?

« Ah oui la princesse…C’est ce qu’on appelle les dégâts collatéraux…Dans la fougue du combat mon maître brisa aussi les genoux de cette pauvre enfant qui n’était déjà pas bien grande et c’est pour ça qu’il ne l’avait point vue.

Pour la consoler mon maître lui donna généreusement un portrait de lui peint sur un œuf par un grand peintre d’œuf. Ce qu’elle apprécia grandement car elle le cassa sur la tête de mon maître ce qui je crois est signe de remerciement de la part des personnes de petite taille dans cette contrée sauvage et reculée…

Puis nous nous esquissâmes discrètement pour d’autres aventures...

Aventures dont certainement, cher Popo, vous mourez d’envie de connaître la suite et …

Où l’aztèque ne s’émerveilla plus de rien, ni de la jungle qui froufroutait, ni des frondaisons qui gigotaient mais qui ne mourait que d’une envie, celle d’écraser le charango sur la tête de Sang-Chaud…

Ce qu’il fit…

Chapitre 80

« Ces musiques ibères n’ont aucun avenir ici ! Bougonnait l’ara rouge.

Il mâchonnait une grosse blatte brune en regardant méprisamment Sang-Chaud qui retirait de son cou les débris de son charango.

« Leurs mélodies sont insipides et les paroles de leurs chansons sont sans intérêt…

« Toutout à faifait d’accoccord, approuva l’ara bleu.

« Ce n’est pourtant pas compliqué de faire une jolie complainte, continua l’ara rouge. Il suffit de trouver un bon sujet, romantique et intemporel…Tiens, au hasard, on pourrait imaginer une chanson sur cet insecte… » Il recracha des morceaux de carapace du cafard. « On appellerait ça : « La cucaracha !  Je suis sûr qu’on ferait un tabac, surtout à Hispaniola ou à Cuba…

« Sur un air de flamencolibri, gazouilla le colibri, ce serait magnifiqui !

«Carrramba y buttifarrra ! s’écria soudain le chevalier, se relevant difficilement en faisant craquer son armure et ses os. «  Fi de toutes ces calembredaines ! Nous autres, vaillants associés de la Compagnie des Conquistadors et des Aztèques réunis, avons d’autres pumas à fouetter, que diantre ! »

Se lissant les moustaches avec emphase il se pencha vers Acocoyotl Polichtitli.

« Don Acoco mon excellent ami, venez un peu par ici que je vous montre ce document qu’une charmante personne de mes relations a réussi à subtiliser à l’amiral de la flotte du Roy d’Espagne. Je l’ai gardé secret jusqu’à présent mais vous avez su gagner ma confiance, aussi approchez donc…C’est ce qu’on appelle, chez nous autres civilisés, une carte, un plan, un portulan…

« Un peu comme celle-là, fit Acocoyotl,  découvrant la sienne.

« Euh….Oui en effet…mais en mieux ! Voyez, la vôtre est écrite en charabia, la mienne en espagnol ! Mais surtout, regardez bien, c’est une carte très spéciale, tracée à la poudre d’or et qui indiquerait le chemin à suivre pour retrouver l’El Dorado…On dit que seul un cœur pur peut la déchiffrer, et que ce cœur pur, il faut, à l’aide d’une épée aussi pure, l’extirper du corps de celui qui le possède… »

Don Quijote, dont la voix avait monté d’un cran, avait mis sa main droite sur sa rapière et sa gauche sur l’épaule d’Acocoyotl.

« As-tu un cœur pur l’Aztèque ?

« Non, absolument pas !...

« Tant pis, tant pis, soupira l’Hidalgo à regret. J’aurai toujours essayé…

« Et vous-même ?...

« Moi non plus, moi non plus ! dit précipitamment Don Quijote. Et c’est grande pitié, vous pensez bien que j’aurais donné mon cœur, hélas impur, j’aurais donné mon sang, ma vie, mon âme, mon fidèle Sang-Chaud, pour offrir l’El Dorado à mon Roy… »

Désabusé, le chevalier allait rempocher sa carte lorsqu’elle glissa de sa main et vint se superposer à celle d’Acocoyotl.

« Regardez les deux cartes, fit celui-ci, n’est-ce pas incroyable ? Les routes semblent aller dans la même direction. On dirait que poudre d’or et charabia parlent d’une même voix…

« En effet, en effet…La voix de l’or, mon ami, la voix de l’or ! s’illumina l’Hidalgo

« Et du Quetzalcoatl, murmura Acocoyotl… »

D’un doigt décharné Don Quijote suivit le double tracé jusqu’à un point précis situé de l’autre côté des terres indiennes, au bord d’une autre mer inconnue où nul espagnol n’avait encore jamais navigué…

Ce point avait pourtant déjà un nom, inscrit dans les deux langues.

L’Aztèque et l’Hidalgo se regardèrent.

Les deux perroquets et le colibri s’étaient posés sur leurs épaules.

Sang-Chaud venait de se pencher lui aussi

« Acapulco ! Crièrent-ils tous en chœur !