Chapitre 91

« Ma mission prend fin ici ! dit « Aigle-attentif-à-la-course-du-pingouin » avec des trémolos dans la voix, ma fille vous guidera maintenant.

Les voyageurs montèrent dans le long canoë que les peaux rouges venaient de tailler rapidement dans un séquoia géant puis, avec un enthousiasme certain pour les uns et une angoisse non dissimulée pour certains autres, angoisse qui se matérialisa par une suite de gaz pétaradants, ils prirent plein ouest en direction du large.

« Ugh ! » dit simplement « Aigle-attentif… ». Il fit demi-tour et repartit chez les siens.

La fatigue commençait à se faire sentir.

Ils naviguaient depuis plusieurs semaines, se nourrissant des poissons volants que « Chienne-qui-ne-pète-jamais » attrapait au vol, buvant l’eau de pluie, pagayant sans jamais s’arrêter. Ils se relayaient à tour de rôle sans dire un mot, sans même aboyer.

« Tigresse-aux-lys-attentive-à-son-père-Aigle-attentif-à-la-course-du-pingouin-mais-aussi-attentive-aux-cousins-blafards-et-à-leurs-chiens-dont-le-plus-vilain-pète-particulièrement-fort » restait à l’avant du canoë  et ne dormait jamais. Impassible comme une statue elle scrutait l’horizon. C’est elle la première qui distingua l’île…

Lorsqu’ils accostèrent, les deux chiens sautèrent en jappant sur la plage de sable fin et disparurent sous les frondaisons d’une jungle luxuriante qui cernait apparemment toute l’île. L’indienne et les deux inuits venaient à peine de descendre du canoë qu’un rire, provenant du sommet des cocotiers se fit entendre…

« Ils m’ont l’air bien vieux, ces loustics-là, pour être perdus ! Tu n’crois pas ma vieille cloche ?...

« Ding ! Ding ! fit une autre voix qui tintait plus qu’elle ne parlait, pour sûr mon ami, pour sûr. Ils  ne ressemblent vraiment pas à des enfants abandonnés !...

L’autre voix rigola de plus belle.

« Ou faut-y qu’leurs parents soient sacrément vieux !...

La voix virevoltait dans les airs, semblant passer d’un arbre à un autre avec une rapidité déconcertante.

« Non, décidément, ces zigotos sont pas des mioches perdus et je me d’mande si qu’on va pas les rej’ter à la baille ?...

Tulurgglurkuk n’avait pas fait deux pas sur le sable et essayait encore de comprendre d’où provenaient ces voix lorsqu’il s’aperçut que la pointe d’un sabre venait de se planter juste au bout de son nez.

Une fine main tenait négligemment le sabre, après la main venait un bras, puis un buste, puis un corps tout entier mais très mince, vêtu de vert et appartenant à un étrange petit bonhomme coiffé d’un bonnet vert également et qui, chose encore plus étrange, ne semblait pas poser les pieds par terre mais paraissait voler dans les airs.

« A la baille, tintait la petite voix, à la baille !...Je connais un saurien qui serait ravi de faire un festin avec ces idiots-là ! Hi hi hi…

« Sûr qu’ce vaurien saura les déguster avec … »

Le petit homme vert venait d’apercevoir le visage de la jeune indienne et s’était soudain immobilisé. Il baissa sa lame et resta bouche bée.

« ‘Scusez Miss… j’vous avais pas vue…qu’est-ce qu’elle est belle, pas vrai, Ding-Dong ? bredouilla-t-il…

« Bof….pas tant que ça, grommela la petite voix, elle est même assez quelconque…ahlala…tu ne changeras donc jamais !...

« Qui qu’êtes-vous, demanda timidement le petit homme vert à l’indienne, comment c’est-y qu’vous vous app’lez ?

« Moi ? on me nomme : « Tigresse-aux-lys-attentive-à-son-père-Aigle-attentif-à-la-course-du-pingouin-mais-aussi-attentive-aux-cousins-blafards-et-à-leurs-chiens-dont-le-plus-vilain-pète-particulièrement-fort »…

« Oulala ! trop long pour moi !...dit l’autre en riant, on va simplifier princesse…pour moi vous s’rez juste : « Tigresse Lily ! »

« Attention, attention, fit la petite voix, tu vas encore te faire embobiner !...

« Ahhhhh ça suffit ! va-t-en Ding-Dong, t’y connais rien aux amours enfantines, laisse-moi tranquille, ouste, du balai, retourne dans ton tiroir !...

La petite voix disparut en pleurnichant.

« Tigresse Lily ? Ca me va, répondit l’indienne en souriant, et vous, qui êtes-vous mister ?

« Mister ? v’là qu’elle m’donne du mister…

 Le petit homme vert s’inclina, fit une révérence et dit :

« Pour vous princesse, y’aura jamais d’mystère…

Vous pouvez m’appeler Peter !... »

Chapitre 92

Assis à l’avant du petit radeau, Billiwong Billidong soufflait tristement dans son didgeridoo. Pour la première fois depuis le début de son long périple il n’était pas très fier.  Avoir laissé ses trois compagnons sur Komodo à la merci de ce gros lézard n’était pas digne d’un chasseur comme lui.

« Bah…ne t’inquiète pas, avait minimisé le Koala, le menteur au long nez saura bien mentir, le pirate saura bien pirater et le vieillard…bon d’accord, pour le vieillard c’est plus problématique, mais n’oublie pas que tu as un kangourou à retrouver et qu’il n’y a pas assez à manger pour tout le monde sur ce rafiot…

un vieux sage koala me disait toujours : « La faim justifie les moyens ! » alors naviguons droit devant et hardi les gars !... »

La Koala se frappa le front.

« Au fait, avec toutes ces péripéties j’allais oublier le principal…Billiwong Billidong mon ami, j’avais quelque chose à te demander depuis longtemps.

Ton kangourou doux fugueur, il ne s’appellerait pas Maurice par hasard ? »

Billiwong Billidong haussa les épaules. Quelle question idiote ! Il fit non de la tête et se remit à souffler.

« Non ? continua le Koala, Ah bon…parce qu’il m’est venu comme une intuition qu’il te fallait chercher un certain Maurice…ou une Mauricette peut-être, ça ne te dit vraiment rien ? Tant pis…pourtant je suis sûr que c’est important pour…

« Voile en vue, l’interrompit Lulu la tortue, à bâbord ! »

La voile en vue à bâbord grandit progressivement. Il s’agissait en fait non pas d’une mais de deux petites voiles d’un tout petit bateau qui s’approchait peu à peu de leur embarcation mais ne faisait pas mine de ralentir. Bien au contraire le bateau ne fit que croiser le leur à bonne distance. A son bord, un petit bonhomme grimé de la tête aux pieds d’un costume de loup gris tenait sa barre sans lâcher l’horizon du regard.

« Ohé du bateau, lança le koala, tout va bien à bord ?

« Silence ! Laissez-moi tranquille, grogna le petit loup gris, je rentre chez moi ! Allez au diable ! D’ailleurs vous y allez directement alors mauvais vent à vous !...

« Ben dis donc, il n’est pas très poli celui-là, fit la tortue offusquée, et qu’est-ce qu’il veut dire par « Au diable, d’ailleurs vous y allez… »

« Terre ! Terre à tribord, hurla le Koala.

A peine eurent-ils le temps de tourner la tête pour voir une île apparaître dans le lointain que le petit bonhomme grognon avait disparu de l’autre côté.

Ils filèrent donc en direction de l’île et, après avoir franchi avec quelques difficultés une impressionnante barrière de corail, ils finirent par y accoster.

La première chose que fit Billiwong Billidong en débarquant sur la plage fut d’inspecter le sable. A sa grande déception il ne constata aucune empreinte récente de pattes de kangourou.

En revanche il y avait de nombreuses autres empreintes. D’abord celles, petites et rapprochées, qui allaient vers la mer et qui devaient sûrement être celles  de ce furieux petit bonhomme croisé plus tôt.

Et il y avait d’autres empreintes.

Enormément d’autres empreintes. Des empreintes énormes, gigantesques, monstrueuses. Certaines provenant de gros mais alors de très gros sabots, d’autres avec des traces de griffes ou de palmes colossales, d’autres encore appartenant à de bonnes grosses pattes poilues.

Des empreintes de grosses pattes poilues appartenant sans doute à l’individu à la très grosse voix qui, encore dissimulé dans la forêt qui longeait la plage, demanda timidement :

« Vous n’auriez pas vu Max par hasard ? »

Chapitre 93

Billiwong Billidong, Lulu et le Koala levèrent la tête en même temps.

« Ah oui en effet, murmura Lulu la tortue, il semble que nous ayons trouvé à qui appartiennent ces belles grosses empreintes…

« Mais oui madame, ces belles et terrrribles et maxi empreintes sont les maxi nôtres ! fit un terrible monstre poilu à terrible tête de taureau.

Un autre terrible monstre à long cheveux roux sortit lui aussi des bois et, en montrant de sa grosse et terrible main griffue des traces à moitié effacées dans le sable, ajouta :

« Et celles-là ce sont les miennes !

« Pousse-toi gros lard, fit un autre terrible monstre barbu avec des petites

( mais terribles ) cornes sur le haut de la hure et dont le ventre, terriblement velu, était orné de rayures jaunes et orange, pousse-toi ! tu vois bien que ces traces-là sont à mouââââ !...

« Et celles-là sont à mouâââ ! grogna un quatrième et terrible monstre à tête de perroquet.

Deux autres terribles monstres, maousses, bariolés et hirsutes apparurent encore. Ils se chipotèrent, se bousculèrent, se firent des crocs en jambes puis finalement roulèrent ensemble dans le sable.

Après un bref moment de confusion pendant lequel Billiwong Billidong et ses amis n’avaient pas osé bouger, l’un des monstres donna des coups de coudes aux autres et désigna du groin les trois arrivants.

Les monstres se calmèrent peu à peu et se mirent en rang. Le gros barbu rayé avec ces petites cornes reposa sa question.

« Donc, vous n’avez pas vu Max ?...

« Ahhhh il s’appelle Max, fit le Koala, ce petit loup mal poli qui nous a croisés sen nous traitant de tous les noms !

« Oui, c’est tout lui ça ! hurlèrent les monstres hystériques en poussant des cris de joie et en agitant leurs grosses pattes, sacré Max , toujours un mot méchant pour chacun ! Mais où est-il passé ? C’est que nous avons une fête épouvantable à terminer avec lui ! ....

 « Lorsque nous l’avons vu, je crois qu’ il rentrait chez lui, dit le Koala.

« Ohhhh…Quel dommage, fit un autre terrible monstre, un si vilain garçon, nous aurions pu le manger…mais vous-mêmes, vous ne voulez pas venir vous suspendre aux arbres avec nous ? On va bien rigoler. Ca va être terrible ! Et ensuite on vous mangera aussi, hein, qu’est-ce que vous en dites ?...

Le Koala eut soudain une inspiration et dit :

« Chers amis monstrueux, Max est malheureusement parti mais nous pouvons le remplacer avantageusement. Il se trouve que vous avez devant vous les spécialistes mondiaux de la suspension dans les branches avec triple saut arrière, pas vrai les gars ?

« Billiwong Billidong et Lulu hochèrent la tête. Les monstres battirent des mains.

« Chouette, dirent-ils, et ensuite on pourra vous manger ?

« Tout à fait ! Tout à fait ! dit le Koala, allez, on s’accroche, hop c’est parti !...

Billiwong Billidong, Lulu la tortue et lui-même se suspendirent aux hautes branches des palmiers et commencèrent à se balancer.

« Bravo ! Bravo ! Magnifique ! C’est vraiment terrrrrible, firent les monstres

« N’est-ce pas, hoqueta le Koala, au fait…pouf…pouf…au fait…Maurice…Maurice…

« Quoi Moritz ? firent les monstres. Moritz comme Max et Moritz ?...

« Pouf…pouf…non…pas Moritz…Maurice…vous savez où on peut trouver Maurice ? souffla le Koala en se balançant de plus belle.

« Ahhhh Maurice !...s’exclamèrent en chœur tous les monstres, bien sûr qu’on sait où on peut trouver Maurice !...

Ils levèrent tous leurs pattes dans la direction de l’ouest.

« C’est par là !...

« Merci ! murmura le Koala.

Alors, avec une parfaite synchronisation, les trois amis prirent leur élan, lâchèrent les branches où ils étaient accrochés et firent un terrible triple saut arrière de toute beauté qui les envoya dans la jungle où ils disparurent à la vue des monstres.

Des monstres qui restèrent bouche bée.

Et qui, évidemment, se mirent à monstrueusement pleurer :

« BOUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUU…»

Chapitre 94

Zozo…Zozooo….

Renard rouzé qui fait sa loiiiii…

Zozo…Zozooo…

Vainqueur…tou l’es z’à tchaqué fois…

Dans la pénombre d’une ruelle glauque donnant sur le port d’Acapulco, une petite bande hétéroclite et encapuchonnée se dissimulait tant bien que mal à l’abri des regards des soldats qui déambulaient en ces lieux mal famés.

Acocoyotl et ses compagnons se serraient les uns contre les autres avec inquiétude car le vieil Hidalgo paraissait plus loco que jamais.

Il chantonnait fébrilement depuis un moment une comptine ridicule qui était, soit disant, un code pour avertir Don Diego, lequel, pour l’instant, n’avait pas encore montré le bout de son nez masqué.

« Il va venir, il va venir…Il a sûrement une affaire urgente à régler…un bougre à égorger, une affaire d’honneur en attente, une infante à secourir, un verre de xérès à finir, que sais-je…dans la famille nous avons toujours d’honorables raisons pour être en retard…

Zozooo…Zozooo…Renard rouzé qui fait sa loiiiii…

Zozooo…Zozooo…

 

« Qué tal hombre ?!...Serait-ce toi mon couzin ? fit une sombre voix émergeant d’un gros tonneau de harengs.

« Mon cousin ! Est-ce toi ?! répondit joyeusement Don Quijote en se précipitant sur la forme puante et dégoulinante qui s’extrayait du baril.

« Olà cousin ! Toujours aussi masqué ! fit Don Quijote

« Olà couzin ! Touzours aussi cazqué ! répondit Don Diego.

Avisant soudain la petite troupe blottie derrière le dos de Don Quijote, Don Diego recula d’un pas, sortit son épée et entama une série de dangereux moulinets au-dessus de la tête des malheureux.

« Attenzion mon couzin ! se mit-il à brailler,  vise un peu ces danzereux coupe zarrets qui en veulent à tes bourzes !  Ze m’en vais zigouiller ces zouaves d’un coup de zabre ! Et zing ! Et zang ! Tremblez zibiers de potenze, zélérats, azzazzins…

« Aïe ! Ouille ! glapirent les deux aras en tentant d’échapper à l’estrapade, il est encore plus zinzin que l’autre !

« Halte-là noble cœur ! dit le chevalier en s’interposant, ces rustres sont sous ma sauvegarde ! Ce sont de braves bougres et, pour une certaine circonstance il se trouve que nous faisons cause commune. Nous voilà céans près de toi car, mon cousin, nous requérons ton aide…

« Dans ze cas , ils zont aussi zous ma proteczion, fit le cousin masqué en rengainant sa rapière, ze zuis dézolé mes zeigneurs, excusez ma méprize, z’ai bien failli vous zigouiller ! » Puis,  se tournant vers le Chevalier : « Que puis-ze pour toi mon inzénieux couzin ?

« Peu de choses en vérité ! Ta protection d’abord…

« Elle t’est aquize !

« Ta fine lame ensuite… 

« Aquize ! Aquize !

« Le reste n’est que broutille…Nous avons simplement besoin que tu nous prêtes ton vaisseau pour retrouver, premièrement, une bestiole nommée Quetzalcoatl recherchée par l’Aztèque ici présent, et secondement, ramener l’or de l’Eldorado en ma demeure ibère afin qu’après en avoir généreusement donné une infime part à notre bon Roy je le dépose aux pieds bénis de ma tendre et bien-aimée Dulcinée…

« Touzours amoureux de Dulzinée mon couzin ?…Ze vois, ze vois, fit zombrement Don Diego de la Vega, z’est donc une affaire de cœur ?

« Zi on veut, répondit Don Quijote…de cœur, d’honneur, de gloire…

« A zenou mon couzin ! Tu le zures ?

« Ze le zure !

« Alors ze suis ton zerviteur ! Zésus Marie Zoseph ! Ma caravelle t’est acquize, son équipaze est à toi !

« A qui ?

« A toi !!! Allez, zou ! embarquons les z’amis ! s’écria Don Diego

« Allons-z-y Alonzo ! s’exclama joyeusement Sang-Chaud

« Pas Alonzo…fit lugubrement Don Diego en clouant du regard le pauvre serviteur et en mettant sa main sur la paume de son arme, pas Alonzo…

 

Son nom, il le signe de la pointe de son épée…

D’un Z qui veut dire Zozo…

Chapitre 95

Acapulco et le « Nouveau Monde » n’étaient plus qu’un vague souvenir.

La Perla Negra, le galion de Don Diego, filait maintenant, toutes voiles dehors depuis plusieurs semaines, plein ouest vers l’inconnu.

Les perroquets, le colibri et Sang-Chaud étaient dans les haubans et scrutaient l’horizon. L’équipage, pour plus de sûreté, n’avait pas embarqué. Seul le capitaine, un vieux loup de mer bayonnais répondant au nom de Jacques Moineau, était resté à bord pour tenir la barre et maintenir le cap.

Pour l’heure, dans la cabine des officiers, les esprits s’échauffaient.

Les deux cousins, Acocoyotl et le capitaine étaient penchés, inquiets, sur une carte marine.  Cet antique parchemin, le capitaine l’avait gagné aux dés à une vieille sorcière, dans un bouge de la Jamaïque, et possédait, pour qui savait le déchiffrer, des indications secrètes qui pour l’instant, il fallait bien le reconnaître, restaient invisibles…

Le capitaine Moineau, à l’aide d’un compas, traçait d’étranges cercles concentriques sur le document, plaçait sa boussole à un endroit, puis à un autre, se grattait la tête et grommelait dans sa barbe.

« J’ai sillonné les sept mers dans tous les sens, poursuivi toutes les flottes du monde, coulé cent navires ennemis, accosté sur des îles remplies de cannibales, échappé aux sirènes, aux murènes, aux baleines, à la gangrène, à la mauvaise haleine, au manque d’oxygène…mais franchement là, par tous les poils de barbe de Poséidon, je ne vois absolument pas par quel bout de ma lorgnette il me faut regarder, ni par où commencer…c’est que c’est vaste, l’océan… Messieurs, il vous faudra peut-être renoncer à l’or…et aux plumes…

 « Malédiction ! grimaça l’Aztèque.

« Jamais ! grogna Don Quijote.

« Zamais ! gronda Don Diego.

 « A moins que, à moins que…murmura Jacques Moineau.

Il n’en dit pas plus car à cet instant la vitre d’un hublot vola en éclat.

Un albatros, visiblement aveuglé par le soleil, venait de percuter une fenêtre et s’était engouffré dans la cabine. L’oiseau, paniqué, ne resta pas longtemps dans la cambuse, juste assez tout de même pour mettre le souk sur la table, faire voler quelques perruques, casser quelques bonbonnes de rhum, lâcher une ou deux crottes sur la carte et ressortir par la porte en deux battements de ses gigantesques ailes.

Le souffle coupé, le capitaine, consterné, avait néanmoins eut le temps de voir  les petits excréments de l’oiseau tomber sur la carte.

« Regardez, regardez, souffla-t-il, le compas, le caca…

Le compas du capitaine, mu par un mouvement incontrôlé puisqu’il l’avait lâché, venait en effet de sauter d’un extrême à l’autre de la carte et la pointe de l’instrument s’était fichée sur une des crottes, au beau milieu de rien.

Les quatre compères se couchèrent littéralement sur la carte, le nez sur la crotte. Fébrilement ils tirèrent deux lignes pour vérifier l’exacte position de celle-ci.

Elle recouvrait en partie le dessin d’une petite île dont le nom hélas, à moitié effacé, ne disait rien, ni aux uns, ni aux autres…

Les coordonnées, en tous cas, en étaient les suivantes :

20°10’ Sud ; 57°30’ Est…

« Connais pas cet endroit, souffla Moineau.

« Zamais entendu parler, s’écria Don Diego hors de lui, c’est de la mazie ! C’est la mazie du guano !…

« Magie, guano, caca ou pas, c’est notre dernière chance ! dit Acocoyotl…

 « L’aztèque a raison ! ajouta Don Quijote, alors capitaine, branle-bas de combat, hissez la grand voile, et en  avant toute…

En avant toute vers l’île de Mau…