Le Pangolin et le Pingouin lent - Chapitres 61 à 65 - Catalogue en ligne de votre médiathèque

Chapitre 61

« Alors l’aztèque, il vient ce tchocolatl ?... »

Acocoyotl Polichtitli ne bronchait pas….

« Sang-Chaud mon fidèle écuyer, continua l’escogriffe à la triste figure et à l’armure encore plus triste,  peux-tu expliquer à ce sinistre indigène que lorsqu’un caballero de mon rang demande qu’on lui serve un tchocolatl,

 il ne faut pas le faire attendre car la patience d’un caballero de mon rang n’a d’égale que sa pitié envers les misérables qui font semblant de ne pas comprendre la noble langue castillane, autrement dit… »

Il  brandit sa rapière rafistolée et la fit tournoyer au-dessus de la tête d’Acocoyotl Polichtitli qui avait décidé de rester de marbre devant tant d’incohérence.

« Autrement dit, continuait l’autre, ma patience est nulle !... »

Mais l’homme, qui semblait aussi prompt à se mettre en colère qu’à oublier instantanément l’objet de sa rage, s’était déjà retourné vers les deux perroquets et le colibri qui, posés sur une branche, auraient bien aimé passer inaperçus. Hélas ce ne fut pas le cas, la rapière effleura leurs toupets et sectionna quelques plumes.

«  Ah ah…s’écria l’ahuri chevalier, mais que vois-je ? Notre quête ne sera pas vaine, brave Sang-Chaud ! Hombre, tu iras dès ce soir brûler un cierge, que dis-je un cierge ! Cent cierges,  à Santa Zapatera del Zapatero pour la remercier de nous octroyer de quoi dîner sans avoir à courir la pampa ! »

Les trois oiseaux s’étaient figés.

 « Regarde Sang-Chaud, je m’en vais de ce pas occire ces trois magnifiques et bien dodus condors, rois des oiseaux des Andes, dont la chair magnifique et juteuse aura bientôt l’honneur d’être mastiquée à loisir par les mâchoires altières et reconnaissantes du plus respectable conquérant ibérique que je connaisse….

«  C’est-à-dire vous mon bon maître ! soupira Sang-Chaud.

« Exactement, répondit l’autre.

Après quoi le brave Sang-Chaud asséna un respectable coup de bassine en cuivre sur la respectable tête de son bon maître qui s’effondra d’un coup, s’endormit aussitôt et se mit à ronfler.

« Désolé maître Quichotte, murmura Sang-Chaud.

Il se tourna vers Acocoyotl Polichtitli et leva les bras au ciel.

« Ne vous offusquez-pas señor, c’est hélas la seule façon que j’aie de le calmer et de le protéger de lui-même avant qu’il ne lui arrive pire malheur. C’est un homme brave et un cœur vaillant, en plus d’être un fameux chevalier, mais il est parfois un peu trop enthousiaste, ce qui lui joue bien des mauvais tours…

Comme par exemple prendre ces trois pauvres piafs pour des nobles condors !

Quelle hérésie n’est-ce pas ?... »

« Piaf toi-même ! s’offusqua le colibri. Au contraire, enfin quelqu’un qui voit le rapace qui est en moi ! »

Et le condor qui était en lui, rêvassa…

« Volaille toi-même !  fit l’ara bleu. Enfin quelqu’un qui rend au casoar ce qui revient au casoar ! »

Et le condor qui était en lui, coassa…

« Gibier toi-même ! dit l’ara rouge. Enfin quelqu’un qui croit en moi !»

Et le condor qui était en lui, croassa…

C’est exactement à cet instant que, bien au-dessus de la canopée, beaucoup plus haut dans le ciel, un véritable condor passa…

Chapitre 62

« Tous les Ibères sont comme ça ? demanda Acocoyotl à Sang-Chaud.

Assis tous deux sur des souches ils partageaient tranquillement quelques tranches de mangues sauvages. Le vieux chevalier, toujours plongé dans un sommeil agité et allongé par terre entre eux, était secoué de soubresauts intempestifs.

« Non, heureusement, répondit l’écuyer en s’essuyant la bouche, regardez ce pauvre fou, Il est encore perdu dans ses rêves…Rêver est sa principale activité. En ce moment il doit être en train de délivrer une belle princesse des griffes d’un horrible dragon. Ou, armé de sa pauvre lance et de son seul courage, peut-être combat-il mille indiens sanguinaires…

«Nous ne sommes pas plus sanguinaires que vous, dit Acocoyotl,

«Nous ne sommes pas plus fous que vous, rétorqua Sang-Chaud, néanmoins, lorsque mon maître s’enfuit dans ses songes, il a parfois des visions stupéfiantes…Oh…il se réveille… »

Le chevalier s’ébrouait, les yeux mi-clos il bredouilla.

« El Dorado…La montagne d’or...Elle est là…El Dorado...Je te tiens !...

« Arghhhh, croassa l’ara rouge que le vieux fou venait d’attraper par le col, Arghhhhh ! El Dorado connais pas, mais les radeaux je connais…Je vais t’en construire un de radeau, tu vas monter dessus et t’en aller très loin ! Et lâche mon cou maintenant vieux croûton !!!!

« Croûton, moi !  hurla le chevalier qui, reprenant rapidement ses esprits était à nouveau sur ses pieds. Faquin, butor, vil volatile, brigand emplumé ! Sang-Chaud, mon épée !...

« Et voilà ça le reprend, fit doucement l’écuyer, calmez-vous Monseigneur, il n’y aucun brigand ici, au contraire il n’y a que de braves companeros comme vous et moi. Regardez, il n’y a céans que des gens, et des oiseaux, de bonne compagnie… »

Le vieux chevalier s’adoucit.

« Bon, très bien…Mais pas de familiarité entre nous mon valet ! On ne mélange pas les timbales avec les castagnettes ! Je ne suis le compagnon de personne, moi, je suis un conquistador !!!

« Un idiot qui s’la dore, un idiot qui s’la dore…chantonna le colibri.

« Quoi ? De l’or, de l’or ? Où ça de l’or ? Qu’est-ce qui est en or ?... »

Acocoyotl sentit qu’il était temps d’intervenir. Il se leva, plia le genou et fit une profonde révérence devant le vieux chevalier.

« Monsieur, Monseigneur, votre altesse brillantissime et grand pourfendeur de démons, je me prosterne devant votre magnificence et vous prie humblement d’écouter la requête d’un de vos plus fervents admirateurs…

« Voilà qui est parlé Hombre ! Tes paroles sont douces à mes oreilles ! Tu es désormais, toi et tes poulets, sous ma bienveillante protection. Parle en toute quiétude, le grand Don Quichotte de la Mancha t’écoute… »

Acocoyotl prit une profonde inspiration et se lança.

« Vous cherchez quelque chose il me semble ?

« Il te semble !...Tu le sais bien canaille, ce que je cherche ! C’est l’Eldorado, la Montagne d’or que tous les conquistadors espèrent découvrir ! Le trésor des trésors que vous nous dissimulez et qui est gardé par une armée de vos terribles géants !...

« Mais oui l’Eldorado bien sûr…Evidemment je sais où il se trouve, tous les aztèques le savent…Mais figurez-vous que moi aussi je cherche quelque chose…Je cherche le Serpent à plumes, le Quetzalcoatl ! Ce nom ne vous dit rien mais il est aussi important pour moi qu’une montagne d’or pour vous…Lui aussi se cache au plus profond de mes rêves…Alors je me demandais, en toute humilité bien sûr, si nous ne pourrions pas, l’espace d’un instant, échanger nos fantasmes…Peut-être qu’entre rêveurs nous pourrions nous entraider, vous venez dans mes songes, je saute dans les vôtres, vous débusquez mon Quetzalcoatl, je vous ouvre les portes de l’Eldorado… » 

Le vieux conquistador regarda intensément Acocoyotl Polichtiltli.

Il croisa les bras, fronça les sourcils, se gratta la tête…

« Faire ou ne pas faire confiance ? Là est la question…Je pourrais accepter…Oui je pourrais, pourquoi pas ?…Mais si j’accepte il me faudra des garanties !

« Quelles garanties ?

« Je prends vos perruches en otages ! Si or il y a, je vous les rends, si pas d’or je les zigouille !...

« Marché conclu ! fit Acocoyotl

« L’aztèque est rusé ! murmura Sang-Chaud.

« Mais l’ibère est rude… »  soupirèrent les aras.

Chapitre 63

Faire un point précis sur les connaissances du moment relatives au Quetzalcoatl commun.

Petit rappel scientifique établi en 1542 par Herr Professor Plitzenplotz de l’Académie Royale de Plitzenplotz ( à Plitzenplotz ) 

1°) Il n’existe pas et n’a jamais existé de Quetzalcoatl commun.

2°) Le doute quant à l’existence du Quetzalcoatl commun serait le fait d’un individu équivoque se faisant passer pour un expert en Quetzalcoatl commun,

un certain Don Jojo del Racaillo, mercenaire hispano-botaniste bien connu de la suite du fameux Conquistador Ponce de Léon.

3°) Le seul Quetzalcoatl connu à ce jour a été classifié « hors du commun », ou «  peu commun ». Il est dûment répertorié dans l’ordre des bestioles «  à plumes », de l’espèce « à plumes et à bec », de la sous-famille des « serpentis chiméricus à plumes et à bec du Nouveau Monde ». Ceci est un fait établi.

4°) Le Quetzaloatl peu commun est donc un redoutable prédateur. Il a une façon bien à lui d’attirer ses proies, en général de jeunes et naïfs indigènes des régions équatoriales. Il émet un petit cri strident imitant la voix humaine et qui fait à peu près ceci : « Qu’est-zaco ? Qu’est-zaco ? ». L’indigène répond alors : « Quoi qu’est-zaco ?» Le Quetzalcoatl répond : «  C’est moi ! » et le bouffe.

Ceci est un fait établi.

5°) Le Quetzalcoatl peu commun n’a pas toujours été un redoutable prédateur, petit sa maman lui faisait des câlins, il jouait avec ses congénères aux billes et à la marelle, il aidait les vieilles personnes à traverser la rue et puis les mauvaises fréquentations et les vicissitudes de la vie en ont fait cet être sans foi ni loi que nous connaissons aujourd’hui.

5 bis°) En revanche il adore le foie de ses proies. Ceci est un fait établi.

6°) Il n’est pas certain que le Quetzalcoatl ait une âme. Ce fait n’est pas établi.

7°) L’épineuse question se pose aussi pour les naïfs indigènes du nouveau monde, pour Ponce de Léon, pour Hernan Cortez et pour tous les autres Hidalgos de l’ancien monde.

8°) L’épineuse question sera tranchée ultérieurement lors d’une épineuse controverse dans la vallée des olives.

9°) Ou pas

10°) A moins que ce ne soit la tête de Don Jojo Del Racaillo qui soit tranchée.

Et  c’est à peu de choses près tout ce qu’on sait sur le Quetzalcoatl.

Chapitre 64

Que se passa-t-il dans la tête de Moussa Moussa pour qu’il se mette ainsi à fredonner d’une voix tremblante cette petite ritournelle au moment précis où la gigantesque tarentule allait refermer ses horribles mandibules sur lui ?

Nul ne le sait, et lui encore moins que quiconque. D’où venait-elle cette comptine, de quel coin reculé de sa conscience était-elle sortie ?

 Peut-être justement ne venait-elle pas de sa conscience à lui…

« Le pape est mort,

Un nouveau pape est appelé : Araignée !

Araignée ? Quel drôle de nom pour un Pape,

Pourquoi pas Libellule ou Papillon !

Ah ! Ah ! Ah ! Rions trois fois,

Elle n’a pas ri, elle n’a pas compris…

Je recommence :

Le Pape est mort,

Un nouveau Pape est appelé : Araignée !

Araignée ? Quel drôle de.... »

 

La tarentule s’immobilisa.

Sa bave gluante et noirâtre coulait goutte à goutte sur le front de Moussa Moussa qui chantonnait toujours. Les yeux dans le vague, perdue dans les tréfonds d’un passé oublié qui venait soudain de refaire surface, l’immense araignée tressaillit. Quatre larmes apparurent aux coins de ses quatre yeux et, à la stupéfaction des millions d’insectes qui n’en crurent pas leurs millions d’yeux, elle se mit à pleurer comme une madeleine poilue…

« C’est la berceuse que ma maman me chantait pour m’endormir, balbutia-t-elle, ça faisait tellement longtemps…je me souviens tout à coup,  j’étais une toute petite boule de poils…Ma chère maman, si douce, si aimante, si…» Elle renifla bruyamment. « Moussa Moussa, viens là que je t’embrasse !...»

Alliant le geste à la parole elle l’enlaça tendrement.

«  Faut pas exagérer non plus, fit Moussa Moussa totalement englué.

«  Et on ne touche pas un poil de mon ami le magicien ! » lança-t-elle à la cantonade…

« OK, dit la cantonade légèrement déçue.

« Et le macaque ? demanda un scolopendre affamé.

Le macaque le regarda droit dans les yeux et, pris d’une soudaine inspiration, se mit à brailler :

 

« Le Pape est mort,

Un nouveau Pape est appelé : Scolopendre !

Scolopendre ? Quel drôle de nom pour un pape,

Pourquoi pas coléoptère ou grillon ?

Ah ! Ah ! Ah ! Il n’a pas ri ?... »

« Non, grimaça le scolopendre, Il n’a pas ri du tout…

D’abord parce que tes rimes sont stupides!

Ensuite parce je suis orphelin…

Bon alors…On peut y toucher un poil au macaque ?.... »

Chapitre 65

« Tu peux m’appeler Ursule, dit la tarentule.

« Tu peux m’appeler Moussa, dit Moussa Moussa.

La tension était retombée comme un soufflé aux ignames depuis que Moussa Moussa avait réussi, grâce à la berceuse, à  retrouver la parcelle de tendresse qui se terrait au fond des noirs méandres du cerveau de la reine araignée.

Ils devisaient, assis au milieu du cercle des baobabs, entourés par la nuée d’insectes qui avaient retrouvé un semblant de calme, à part peut-être un ou deux scolopendres qui n’en avaient pas encore tout à fait fini avec les oreilles du macaque.

Moussa Moussa et sa nouvelle amie Ursule plaisantaient tranquillement, échangeant des souvenirs comme deux vieilles connaissances.

« …Donc quand Baladou Bouloudou, notre griot, s’est retrouvé avec les lèvres boursouflées comme deux  pastèques trop mûres et n’a pu articuler pendant six mois, c’était toi ?...

« Ahhhh oui, éclata de rire l’araignée, c’était moi ! Je n’ai jamais supporté ses lamentations ! Deux petites piqûres et fini la chansonnette ! Qu’est-ce qu’on a rigolé…et toi l’hiver dernier, quand mes légions de criquets ont été subitement transformées en cailloux, tu trouves que c’était malin ?

« Ben…On s’amuse comme on peut chère Ursule, et puis je protégeais nos récoltes…

« Vos récoltes, vos récoltes…Voilà bien les hommes ! Elles sont à tout le monde « vos » récoltes…Mes charançons ont besoin de vos graines pour se nourrir…Mes moustiques ont besoin de votre sang pour vivre…

« Nous, on se passerait bien de tes moustiques pour ne pas mourir !

« Oui, bon, la vie est ainsi faite, la mort aussi. Le bonheur des uns fait la fièvre des autres. Vous avez inventé le commerce mais nous avions déjà inventé le troc. Tu me donnes ton sang je te donne mes microbes, c’est ce que vous appelez l’import-export !...Mais dis-moi, on m’a raconté de drôles de choses…C’est vrai cette histoire de masques en balade ? »

Moussa Moussa soupira.

« Oui c’est la triste vérité ! Ils sont tous partis…Où ? Je n’en ai aucune idée.

Aucune trace, aucune piste, rien…J’ai eu beau invoquer tous mes ancêtres, aucune vision ne m’est apparue. C’est en suivant trois petites fourmis qui ont peut-être assisté à leur départ, chère Ursule, que je suis arrivé ici…

« Ah oui les fourmis…Non, elles ne savaient rien. On les a déjà questionnées, un peu bousculées, puis finalement mangées, c’était une mauvaise piste, un mauvais goût aussi d’ailleurs…Mais… »

La tarentule prit un air mystérieux.

«  En fait, j’ai gardé ça pour la bonne bouche, c’est-à-dire la mienne, il se trouve que j’ai d’excellentes nouvelles pour toi… »

Elle sourit, si tant est qu’une tarentule puisse sourire, claqua dans ses pattes et un immense nuage irisé, vaporeux et ondoyant enveloppa la tête du féticheur.

« As-tu déjà entendu parler, cher Moussa, de l’influence du battement d’ailes de papillon sur la marche du monde ? Non ! eh bien c’est le moment... »